Mine de rien, c’est avec acharnement que je me suis entraîné davantage, engrangeant souvent des mois à 40 000m+. La motivation étant un facteur déterminant de la performance, je me suis appliqué à varier les terrains d’entraînement et à relever quelques challenges personnels, comme des distances ou des cumuls de dénivelé. Par ailleurs, j’ai partagé de longues sessions avec Cédric Chavet dans le massif du Caroux, où chaque ascension et descente abyssale nous entraînaient dans des discussions intarissables sur le Grand Raid.
En guise de préparation, j’ai participé à quelques ultras satisfaisants, Trail des Fontaines, Cami de Cavalls, Ultra du Pas du Diable, Olympus Mythical, Du’Ô des Cimes où j’ai systématiquement constaté une légère baisse de mes capacités, mais qu’à cela ne tienne, le plaisir de relever le défi étant toujours le même, cela n’a entamé en rien ma détermination.
Après un dernier mois assez tendu psychologiquement, entre réparation de deux côtes fêlées, d’un quadri récalcitrant, d’un mollet m’envoyant des signaux d’alerte (en compensation du quadri gênant) et d’un coup de froid choppé dans l’avion, me voilà enfin à Saint Pierre sur la ligne de départ en super forme ! Il faut dire qu’avec les amis du team Globetrailers-Unifer et Ludo Collet, notre virée de deux jours dans Mafate m’a fait grand bien !
Le sas élite est rempli d’athlètes de haut niveau comme je ne l’ai encore jamais vu. C’est une densité exceptionnelle, autant chez les hommes que chez les femmes. Ça promet du spectacle !
Ma stratégie étant de pointer à Domaine Vidot avec au moins 3 minutes de plus que les années précédentes, ceci afin de me garantir une meilleure forme ensuite, je me dis qu’il y aura du monde devant moi à ce moment-là !
L’ambiance de départ devient folle à mesure que Ludo Collet et son binôme Michel Bénard excitent la foule. Habituellement, le peloton s’échappe tel les bulles d’une bouteille de champagne, presque invisible dans l’étroit goulot de l’avenue jusqu’à ce que le cri des speakers les libère en masse comme après le bouchon qui s’échappe d’un coup sec. Cette fois, la bouteille a été secouée durant plusieurs minutes, et c’est dans une explosion de joie que la foule des raideurs pressés envahit la route en éclaboussant le public agglutiné de leurs yeux brillants.
J’y suis, une fois de plus, les oreilles bourdonnantes, happé par l’ambiance et poussé par des centaines de coureurs. Il seront 2800 à s’élancer !
Je contrôle rapidement mon allure, bien décidé à m’économiser dès les premiers kilomètres. Départ à 15 km/ heure, difficile de faire moins. Ça double des deux côtés mais je reste tranquille ; je profite de la fête en remerciant ceux qui m’encouragent, et il y en a beaucoup ! J’entends des coureurs dire que c’est fantastique, qu’ils n’ont jamais rien connu de tel, que c’est de la folie, et ça m’amuse de les voir si surpris. On a beau imaginer ce moment d’après les compte rendus ou les vidéos, cela n’a rien à voir avec la réalité de l’instant, avec ces kilomètres de foule enthousiaste qui agit sur nous comme un caisson antigravitationnel.
A ce moment, nous sommes comme Tintin sur la lune, bondissant à grand pas, le sourire aux lèvres, avalant les distances sans effort apparent, tandis qu’au-dessus de nos têtes une infinité d’étoiles observe la guirlande de coureurs qui commencent à grimper vers les hauteurs du volcan. Comme une fusée, un groupe s’échappe ; au moins dix trailers que je perds de vue rapidement, David Hauss, Grégoire Curmer, Daniel Jung, Cédric Chavet entre autres, et une certaine Courtney Dauwalter dont je suis curieux de suivre l’évolution ici.
Dans les champs de cannes, les jets d’eau nous arrosent généreusement, je dirais même plus copieusement que les années passées. Soit l’agriculteur ne sait pas régler l’angle des ses asperseurs, soit il prend un malin plaisir à nous tremper. Dans les deux cas le résultat est que nous sommes mouillés, puis nous prenons froid, puis une partie des coureurs abandonnera suite au rafraîchissement qui bloquera l’estomac. Je suggérerais à l’organisation d’intervenir pour que cesse ce problème récurrent.
Les allures se stabilisent enfin, les spectateurs sont derrière nous, la nuit nous enveloppe, exceptionnellement fraîche, avec un vent de face qui fait bien sentir le tee shirt humide. Je commence à remonter. Je me sens très bien, n’hésitant pas à marcher les courtes portions raides. Je pourrais les trottiner, mais je reste fidèle à mon plan de course.
Vidot, 1h17 pour les 14,5 km et 650m+, c’est 4 minutes de plus, parfait. Je pointe 54e, c’est loin !
La suite n’est pas très agréable jusqu’à Notre Dame de la Paix. Le passage habituel sur le terrain d’un propriétaire privé n’ayant pas été obtenu, nous le contournons par la route. 7 km de bitume ou de béton, et ça grimpe toujours. Je rattrape pas mal, arrivant au ravito suivant 32e.
Peu à peu je retrouve le sentier commun aux autres années. Juste avant le parking Nez de Boeuf, le balisage pose un sérieux problème. Deux chemins s’offrent à moi sans marquage. La logique de la courbe invite à prendre à droite, ce que je fais. La brume empêchant d’apercevoir une lumière de frontale à 50m, je ne distingue aucune trace de coureur au loin ni de rubalise, et le terrain qui descend légèrement ne m’inspire pas. Demi tour, puis chemin de gauche où là non plus aucun marquage ne conforte mon choix. Je m’arrête, rejoint par René Rovera. La peinture du GR sur quelques rochers me décide à continuer, et c’est avec soulagement que 200m plus haut j’aperçois un ruban jaune ! C’est reparti.
Je m’en tire donc à bon compte, tandis que la tête de course s’est égarée durant 15 minutes, la plupart abandonnant plus tard à cause de l’énervement et de la perte d’énergie qui s’en est suivie.
Fin de la montée, j’attaque la descente sur Mare à Boue. Je rattrape Anne-Lise Rousset-Seguret, en seconde place, et ouvre la voie. Quel niveau chez les féminines pour la 30e ! Je comprends mieux comment elle a pu réaliser le record du GR20 cette année ! Nous discutons un peu, c’est bien sympa. Le rythme est rapide, mais nous ne voyons pas le moindre coureur.
Anne m’attend avec le ravitaillement peu avant Mare à Boue. L’arrêt est court, 1’30’’, le temps de manger du riz, d’avaler une soupe chaude et de recharger les poches en boules de riz. Je repars motivé, 29e, en direction de Coteau Kerveguen puis du gîte du Piton des Neiges.
Je me suis préparé mentalement à cette section au terrain compliqué. Je l’apprécie, m’appliquant sur la trajectoire au milieu du fatras de rochers, en trottinant dès que possible, à l’écoute des sensations musculaires. Pourtant, je constate que le rythme n’est pas proportionnellement aussi rapide que me laisserait croire mon ressenti positif. C’est vraiment ainsi qu’évolue mon niveau depuis deux ou trois ans. Je me sens comme d’habitude, sauf que je suis moins rapide, surtout dans un terrain très technique...c’est dommage car c’est ce que je préfère 🙂
Tant pis, la solution est donc d’absorber ce passage jusqu’au point haut situé à 2460m, puis de donner du rythme ensuite. En y réfléchissant, passé Cilaos, l’ensemble du parcours ne comptera que très peu de portions vraiment difficiles ; un peu sur le Taïbit et vers Roche Plate seulement. Ça devrait me permettre de tirer mon épingle du jeu, surtout sur le final.
Nicolas Rivière me rejoint. Coéquipier du team Globetrailers-Unifer depuis un an, il est bien décidé à conjurer le mauvais sort qui le contraint depuis deux saisons à abandonner sur les longues distances. Le mal n’est pas encore identifié, c’est pénible pour lui. Pour l’instant tout va bien, et je lui dis de ne pas m’attendre. De toute façon je ne peux pas suivre 🙂.
Le jour se lève accompagné d’un concert de chants d’oiseaux. Le ciel s’embrase de couleurs gaies, illuminant les toitures colorées de Cilaos que j’aperçois au gré des trouées de feuillage.
Enfin me voilà au stade de la ville, 26e . Anne s’inquiète un peu de mon retard et je lui dis que « l’affaire risque d’être longue cette année !» J’ai tout de même confiance pour la suite. Je sors du village, me dirigeant vers la cascade Bras rouge, puis à l’assaut du col du Taïbit. La section est rapide, partagée entre descente souple, montée raide sans trop d’obstacles, avec des relances régulières qui permettent de maintenir un tempo de coureur et non de randonneur. C’est agréable.
Au pied du Taïbit j’ai parcouru 80,5 km et 4440m+ en 10h41. J’y pointe 24e, ça progresse dans le bon sens ! Devant moi, la paroi abrupte du Taïbit, les remparts qui me séparent de l’entrée dans le cirque de Mafate, le coeur du Grand Raid pour qui le mien bat la mesure toute l’année dans l’attente de le traverser. A peine reparti je retrouve Anne-Lise. Elle grimpe avec agilité à quelques dizaines de mètres devant moi. Je suis admiratif d’une telle aisance et de tant d’efficacité.
Plus haut, je croise mon coéquipier Cédric Chavet. L’erreur de parcours aura eu raison de sa détermination. Il y aura laissé trop de jus. C’est navrant après tant d’entraînements partagés à nous projeter sur cette course folle. Peu après, c’est au tour de Nicolas Rivière rattrapé par son problème récurrent, allongé dans l’herbe dans l’espoir que la baisse des pulsations le laisse relancer la machine. J’apprendrai plus tard qu’il aura dû renoncer.
Me voilà au sommet, puis je bascule dans le cirque, toujours à une cinquantaine de mètres d’Anne-Lise que je ne parviens pas à rejoindre. De ce côté, la sécheresse remplace l’épaisse forêt de la montée précédente. Chaque pas soulève un nuage de poussière. Les virages serrés empêchent de donner de la vitesse ; l’agilité est de mise pour gagner du temps à la corde.
Les lacets diminuent et laissent enfin la place à un terrain dégagé jusqu’au hameau de Marla. Je scrute le sol pour éviter de chuter comme en 2018.
Là, je suis accueilli par Ludo, un ami de Cédric qui m’aide au ravitaillement. Merci, c’était rapide et efficace !
20e à présent, je me dirige vers le col des Boeufs, via la plaine des Tamarins que je traverse aux côtés d’Anne-Lise que j’ai enfin rejointe. Les arbres séculaires couverts de mousse et des branches desquelles pendent des cheveux d’ange sont somptueux. Ce spectacle aide au cheminement. Plus loin, le col proprement dit passe facilement, aidés que nous sommes par la couverture nuageuse, la « farine » qui tombe et nous couvre des ses gouttelettes rafraîchissantes.
Le col franchi, une large piste permet de souffler, de se décontracter en allongeant la foulée ; une gestuelle qui commençait à manquer cruellement.
Plaine des Merles, puis sentier Scout où le ravito m’attend, assuré par l’équipe de Daf. Formidable, j’ai la surprise de goûter une purée de patate douce qui donne à mes papilles l’impression d’avoir jusque là été nourri d’argile verte. Quel délice, merci les gars !!
Anne-Lise et moi alternons les relais. C’est motivant et nous soutenons une bonne allure. Sur le sentier Scout, la vue est malheureusement bouchée par la brume mais le chemin même est beau, rocheux, pourvu de marches hautes, puis il alterne avec des portions roulantes. La descente qui s’amorce nous conduit à Ilet à Bourse.
Déjà 104 km et 6000m+. 14h54 de course, 16e, la remontée continue régulièrement. Je me sens de mieux en mieux, à croire qu’il me faut une longue période de mise en route. Si cela continue, je vais me diriger vers des courses de 300km !
Pour l’heure, c’est vers Grand Place les Bas que la rubalise me conduit. Plus loin les hauts remparts du Maïdo se détachent, mais cette année nous bifurquerons peu avant vers Ilet Orangers.
Juste avant Grand Place Anne Lise a baissé de rythme, un passage à vide comme il en survient parfois sur de telles distances. Une autre équipe de Daf m’accueille et me donne mon petit sachet de ravitaillement, merci !
La chaleur s’est installée, contrastant fortement avec les heures passées sous les nuages épais.
Dans la forte montée vers Grand Places les hauts, je rejoins Sangé Sherpa. Sa compagnie m’est très agréable. Nous faisons route ensemble. Ayant pour habitude de partir fort, il ralentit souvent en seconde partie de course, mais depuis deux ans et bien qu’enchaînant les ultras comme d’autres prennent des apéros chaque week-end, il a franchi un cap et parvient à tenir son rythme très longtemps. C’est une chance car nous pouvons partager un bon bout de chemin ensemble.
Après la raide descente sur Roche Ancrée, c’est au tour de l’interminable montée vers Roche Plate.
Placé plus haut que d’habitude, le ravito est situé à Plateau Cerf. C’est dur, sur une monotrace qui serpente dans la lave aux tons rosés. L’environnement est très minéral, mais plus haut je distingue une plantation d’eucalyptus. Après un dernier effort le terrain s’aplanit, révélant une place dégagée plantée de tentes d’où les bénévoles nous encouragent généreusement.
Mon ami Ambroise Carpin m’attend, comme chaque année dans Mafate. Sa silhouette de raideur affûté à la peau brune se détache parmi l’assistance. Sa bonne humeur communicative efface les récentes difficultés. Je sais que je repartirai d’ici boosté 🙂. Une vingtaine de bénévoles joindront leurs cris aux siens pour scander mon nom en battant des mains, merci à vous tous !
15e à la sortie du ravitaillement, il me reste un bout d’ascension jusqu’à la Brèche. Sangé est resté encore un peu au ravito, me voilà de nouveau seul.
J’apprécie cette section moins raide et relativement ombragée. Je descends ensuite vers Ilet Orangers. Les rochers sont lissés par les anciens torrents. Le chemin est profondément ancré entre deux parois abruptes d’où pendent des mousses et des fougères. L’eau accompagne mon cheminement, puis je sors en plein jour, d’abord en passant l’îlet, puis en traversant les Lataniers. Un coup je grimpe, un autre je descends, et ce petit jeu continue jusqu’à dépasser la passerelle D’Oussy.
J’approche de Rivière des Galets - 2 Bras. Je dois d’ailleurs la traverser sans gué et sans Sangé, ce qui n’est pas une bonne idée pour les pieds, mais je n’ai pas le choix.
Je double Maxime Cazajous après avoir échangés quelques mots. Il doit s’arrêter à 2 Bras, ayant contracté deux tendinites des fascia lata. Dur dur ; il aura tout donné, mais Mafate aura tout pris sans retour.
2 Bras, 130 km / 7950m+, 20h04, en 14e position, ça progresse dans le bon sens !
Merci à Audrey qui est venue jusqu’à ce point pour aider quelques coureurs.
La montée de Dos d’Âne marquera la sortie du cirque, et il est temps car la nuit ne tardera pas à tomber de l’autre côté. Je parviens à maintenir un rythme égal à celui de 2021, avec cette fois le sentiment que je peux accélérer ; il serait temps !
La montée est raide, voire très raide, coincée entre une paroi abrupte à ma droite et le vide à peu près masqué par la végétation sur ma gauche. C’est d’ailleurs un sentier que j’estime des plus dangereux qui soient, car un écart, un moment d’inattention, et hop, c’est parti pour une chute libre sans filet…
Au sommet une foule m’accueille et m’encourage. Ce point marque un relais du Zembrocal, raison pour laquelle je doublais de nombreux coureurs aux tee-shirt distinctifs.
Je me sens en grande forme et je file vers chemin Ratineau, réputé pour son enchevêtrement de branches et de rochers. La Kaala lui fait suite, montée raide et technique de 150m+, puis une descente tout aussi compliquée avec deux échelles brinquebalantes avant de poser pied sur un chemin de pierres de lave. Là, frontale allumée qui perce l’obscurité épaisse sous la voûte de petits arbustes, je poursuis ma remontada.
Je bifurque à gauche vers la côte illuminée. Je distingue le Port à la dérobée, mais je garde les yeux fixés au sol car pour garder un rythme rapide sur ces cailloux et rochers glissants cela me demande une grande attention. Ici, pas plus de balisage que de sel dans un moulin à poivre, ce qui ajoute du piment ; c’est réellement pénible. Heureusement, je connais très bien le secteur, il faut prendre à main gauche en permanence, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde ! Bon sang, que le balisage soit homogène ! Il suffit de rédiger une charte du balisage...
La Possession arrive ! Je me sens des ailes. J’arrive en trombe dans le ravito, 13e accueilli par une ambiance folle. Après le pointage officiel, je me ravitaille avec Anne, Cathy et Cédric, mais aussi Virginie Bohard venue jusqu’ici m’encourager tandis que son Patrick a dû s’arrêter à Marla des suite d’une chute lui ayant cassé deux côtes ! Cette épreuve est infernale !
Dans cette école Evariste de Parny, je ne suis pas seul à avaler en vitesse mon ravito. Il y a René Rovera et Clément Desille.
Je repars dans les pas de René. Très vite je prends les devants, bien décidé à réaliser une belle section jusqu’à Grande Chaloupe par le chemin des Anglais.
René s’accroche, c’est motivant. Nous échangeons quelques mots avant de grimper le sentier « merdique » plein de dalles de lave irrégulières. Je relance en courant, même dans le dénivelé assez marqué. Les muscles encaissent bien mieux que durant la montée de Kervéguen 17h plus tôt, c’est incroyable. Comme quoi le cerveau est capable de lancer la machine dès qu’un élément déclencheur casse la barrière de la monotonie.
Les ravines se succèdent et je cours toujours. J’ai hâte de voir en combien de temps j’avale la section.
Dernière descente technique où je sens la plante des pieds et quelques orteils chauffer sous les appuis éprouvants, puis c’est le sol goudronné qui prend le relais jusqu’au pointage de Grande Chaloupe.
1h06, pause comprise au ravito de la Possession, c’est le temps qu’il m’aura fallu pour rejoindre la locomotive du Tram Tram, contre 1h16 en 2021. René est toujours là, et Clément arrive au moment où nous reprenons le chemin pour le dernier round. Quel final !
Clément nous dépasse. J’ai froid, seulement couvert du débardeur de l’organisation. Je dois enfiler ma veste, petite gymnastique qui me vaut de prendre un peu de retard, mais le confort obtenu en valait la peine.
Je me place sur la bande formée par les dalles du milieu du chemin des Anglais, la plus régulière pour courir. Je rattrape Clément et prends de nouveau la tête du trio. A mesure que nous montons ces 800 derniers mètres de dénivelé positif, je sens le bonheur m’envahir de terminer un nouveau Grand Raid. Cela m’entraîne naturellement à accélérer tant que le corps l’accepte.
Au Colorado, tandis que René a déjà pris un peu de retard, je me sépare de Clément en imprimant un rythme encore plus soutenu. Je pointe seul au Colorado, 11e, et je m’engage dans l’ultime descente avec l’idée de battre mon propre record qui est de 39 minutes.
C’est grisant. Je file sur le sentier couvert de racines puis de roches. Je dois tout de même me méfier des glissades. De la terre sèche s’échappe une fine poussière qui recouvre tout, rendant incertains les appuis sur la pierre. Je bondis, je m’amuse, les jambes supportent ce dernier caprice, comme complices de mes extravagances.
Me voilà enfin sur la route qui longe le stade de la Redoute, destination tant attendue.
Pour la 15e fois je boucle ce parcours dément, j’en ai déjoué une fois de plus les pièges toujours renouvelés, en tentant de donner le meilleur de moi-même, en prenant quelques risques quand nécessaire, car il s’agit aussi d’une compétition internationale, et que cette chance de rivaliser avec une telle adversité n’est pas commune.
Le demi tour de stade n’est plus qu’une délivrance, un sas de décompression qui vient effacer les douleurs et les doutes, un échange avec le public venu honorer le dépassement de soi, avec au bout l’accueil des proches qui conclut une nouvelle tranche de vie aventureuse. 11e au général, loin derrière Courtney Dauwalter que j’aurai l’occasion de féliciter quelques instants plus tard, je suis simplement heureux. Pour l’anecdote, je réalise la descente en 38 minutes !
26h26, ce n’est pas grand-chose dans une vie, mais sur les sentiers réunionnais, où le temps semble n’avoir aucune emprise sur la nature, les secondes sont comme des milliers de lettres mélangées dans un sac. Chacun les assemble à sa façon pour écrire son histoire ; la mienne est celle d’un passionné heureux de partager ces moments de dépassement, ces découvertes infinies sur les capacités de ceux qui osent se lancer dans l’inconnu.
Merci à tous, ma famille et mes amis, à mon équipe Globetrailers-Unifer soutenue par Philippe Rocher et son équipe Unifer.
Ma « longévité », je la dois en dehors des soins que nous portons en famille sur notre équilibre de vie et l’alimentation, à des personnes qui accompagnent ou jalonnent ma carrière de trailer, comme Youenn LeGall et sa gamme Effinov Sport depuis dix ans, ma fille Adèle naturopathe qui partage ses recettes sur La Saine Assiette Coaching alimentaire et qui accompagne des trailers dans leur préparation alimentaire, ou encore avec mes cures ponctuelles d' Ariège Sève de Bouleau Bio. Bien d’autres par le passé m’ont prodigué leurs conseils.
Je vous donne rendez-vous l’an prochain, sur une des courses du Grand Raid !